Pages

26 mars 2014

Bitcoin, crypto-quoi ?

On entend souvent parler de bitcoin ces derniers temps, cette monnaie virtuelle qui vit indépendamment des banques et des gouvernements. Cette monnaie à beaucoup fait parler d'elle avec l'envolée de son cours sur les différentes places de marchés et plus récemment l'affaire autour de Mtgox.

Je vais expliquer mon point de vue sur cette crypto-monnaie et pourquoi je ne pense pas qu'elle règlera les soucis que l'on a déjà avec les monnaies existantes. Je conseille de mettre ses a priori sur la banque et la finance de côté juste le temps de la lecture :)


Un contexte financier compliqué

Habituellement, la création d'une monnaie (une nouvelle devise en fait) est quelque chose de très compliqué:
  • sur quoi s'appuie la monnaie (les enjeux, les besoins)
  • quel crédit a t-elle ? (a qui puis-je faire confiance pour échanger cette monnaie ?)
  • qui émet cette monnaie ? à qui appartient-elle ?
  • qui va payer la création de la monnaie ? (le papier, l'encre, les pandas)
Aussi, comment va t-elle s'apprécier face à d'autres monnaies ? comment gérer les différents niveaux d'appréciations ?
Quel va être l'effet de cette monnaie sur les devises existantes ?
Depuis les années 80 on évoque l'idée d'une monnaie mondiale, une seule monnaie qui permettrait le libre échange sans passer par une conversion de devise. L'idée a été abandonnée, puis reprise dans les années 90, puis encore abandonnée. Il y a eu cette idée farfelue de paniers de titres spéciaux (DTS) qu'on partageait en part égales et qu'on négociait par unité de compte, ça n'a pas duré. Ce qui se rapproche encore le plus de cette idée de monnaie mondiale, c'est l'Euro (qui descend de l'Ecu qui lui même s'inspirait des DTS) et on connait toute la complexité nécessaire à la création de cette monnaie: et on retrouve ainsi les mêmes questions existentielles du début de l'article. On se rend compte qu'il est nécessaire d'encadrer le fonctionnement de cette monnaie et de la réguler.

Du besoin d'une crypto-monnaie

A vrai dire une monnaie sert à faciliter un échange de valeurs entre tiers: "je te donne ceci contre celà". Afin de simplifier l'échange de valeurs (un objet, un service) on utilise un support: une pomme par exemple. J'ai mal au dos, j'aimerais me faire masser, j'échange ma pomme contre un massage. A l'échelle d'une communauté c'est très simple, d'un pays ou de plusieurs pays c'est encore gérable, mais quand tous les pays du monde y ont accès ça pose problème:
  • et les pays qui n'ont pas de pommiers ?
  • et si les pommes sont meilleures dans le pays d'a côté ?
  • et dans les pays ou les gens sont allergiques aux pommes ?
Le principal soucis est l'équité entre les pays. Si un pays possède plus de pommiers qu'un autre, il est évident que cette monnaie à base de pommes ne l'arrange pas. Il faudrait que chaque pays puisse contrôler le débit de pommes des autres pays. Et que les pays se mettent d'accord sur le nombre de pommes qui existeront:
  • s'il y en a trop: le masseur massera beaucoup plus qu'auparavant pour une même quantité de pommes
  • s'il y en a pas assez, le masseur ne massera pas des masses
Et puis il y a des petits malins qui feront pousser des pommes chez eux donc il faudra rendre les pommes reconnaissables, identifiables. L'idéal serrait de pouvoir connaître le chemin de la pomme depuis son pommier jusqu'à ce qu'il arrive chez le masseur.
L'autre soucis c'est la monnaie elle même: une pomme ça ne se conserve pas indéfinimment, et puis vous imaginez une banque de pommes ? la place que ça va prendre ! On pourrait imaginer qu'au lieu d'utiliser des pommes on utiliserait des petits coquillages. Un petit coquillage vaudrait une pomme, un gros coquillage deux pommes. Mais au final ça reviendrait au même, et puis comment j'achète une maison avec des pommes ou des coquillages ? Il me faudrait ainsi un endroit ou je pourrais stocker mes coquillages, et en échange de ceux ci, ils me les garderaient à l'abri des voleurs, comme une banque en fait.
Ce soucis de place à été résolu avec la création de monnaie dite "scripturale", à la différence de monnaie fiduciaire (les pommes) ou frappée (les coquillages). La monnaie scripturale est née en même temps que le crédit à la banque. Le masseur de tout à l'heure souhaite acheter une maison qui coute 100 pommes, qu'il n'a pas et qu'il va emprunter à la banque. Ca tombe bien, le vendeur de la maison est à la même banque (ils sont du même village en fait !). Lorsque le masseur va bénéficier de son crédit, la banque, qui possède une ardoise pour chacun de ses clients va ajouter 100 pommes sur l'ardoise du masseur, et se retirer à elle même 100 pommes: elle sait alors qu'il lui manque des pommes et que vous allez devoir les rendre un jour. Jusque là, aucune pomme n'a circulé, c'est uniquement de la craie sur de l'ardoise. Le masseur va voir le vendeur de la maison, conclut la vente, et retourne à sa banque demander à ce que 100 pommes soient transférées sur l'ardoise du vendeur. La banque à ce moment va soustraire le nombre de pommes de l'ardoise du masseur pour les ajouter à celle du vendeur. Aucune pomme n'a circulé, pourtant le masseur doit maintenant 100 pommes à la banque. C'est la magie de la monnaie scripturale. (oui c'est un process évident mais il faut bien le comprendre pour la suite).

Les limites du système

Que se serrait-il passé si le masseur et le vendeur de la maison n'étaient pas dans la même banque ? les pommes aurraient véritablement circulées entre les deux banques à moins qu'elles aient entre elles des ardoises (mais ça devient encore plus compliqué).
Est ce que cette banque est fiable ? Et si un employé peu scrupuleux de la banque vole une pomme ? Et si la banque fait faillite ? Et si le masseur veut acheter la maison un jour où la banque est fermée ? Et puis qui me dit que la banque possède vraiment les 100 pommes de départ, parce qu'au final ce ne sont que d'habiles jeux d'écritures sur des ardoises.
On se rend compte que tout ça fonctionne parce que le masseur et le vendeur de la maison font confiance à la banque.
On va revenir sur comment le masseur à trouvé cette maison qui lui coûte 100 pommes. Il s'était rendu au bar de son village, et s'est mis à demander aux gens s'ils avaient de bons tuyaux. Certaines personnes lui ont proposé une maison à 200 pommes, une autre à 110 pommes, et celle à 100 pommes. Grâce au bar, le masseur à pu comparer l'offre des différentes maisons à vendre dans son village. Le vendeur aussi a pu estimer les prix des maisons à vendre dans le bar, et modifier son prix afin d'être plus attractif que les autres (évidemment la maison à 100 pommes est plus petite que la maison à 200 pommes, mais comparable à celle qui coûte 110 pommes). En fait les vendeurs des maisons à 200 pommes et 110 pommes s'étaient mis d'accord pour gonfler leurs prix de vente, la maison à 200 pommes valait 180 pommes et celle à 110 pommes valait 90 pommes. Mais ça, le masseur ne l'aurait jamais su.

On commence à apercevoir les limites du système financier, les abus possibles lorsque le système repose sur la confiance envers l'autre. Comme on va le voir dans la suite, c'est un problème pas totalement résolu, mais il existe un autre problème encore plus important car il peut potentiellement bloquer l'économie.

Quel est le point commun entre la banque et le bar ? ce sont des entités centralisantes. A ce jour il n'existe pas (encore) de système financier distribué. Dans un système financier j'englobe:
  • la banque: le stockage ou l'épargne
  • la banque centrale: qui va émettre la monnaie, et la contrôler
  • une place de marché: le bar, l'endroit ou l'offre et la demande se croisent
On a alors devant nous un SPOF (Single Point Of Failure) de toute beauté: on sait qu'il est là, les données qui transitent sont très (trop ?) critiques, et on ne peut rien n'y faire. Si la banque se fait voler, vous n'avez plus d'argent. Si le bar est fermé, vous ne pouvez plus comparer l'offre et la demande des maisons à vendre.

On peut ainsi récapituler les différentes contraintes et les problèmes des marchés financiers actuels:
  • confiance envers les tiers
  • confiance envers l'entité qui émet la monnaie
  • la monnaie fiduciaire prend de la place
  • la monnaie scripturale ne laisse aucune trace
  • la banque et les marchés sont des SPOF

On admet la monnaie scripturale (on est plus enclin à faire des achats par internet maintenant, payer par carte, faire des chèques) donc le fait que cette monnaie ne soit pas matérielle ne choque pas (trop), en cas de doute, on peut toujours retirer de l'espèce à un distributeur ou en agence pour se rassurer qu'il existe bien quelque chose de tangible derrière la monnaie scripturale.

La monnaie virtuelle, ressemble beaucoup à de la monnaie scripturale. Mais attention ! c'est pas vraiment la même chose car la monnaie scripturale se repose sur une devise réelle:
 1 EUR sur mon ardoise => 1 EUR en vrai
La monnaie virtuelle, de part sa nature, n'a pas d'équivalent réel ! Comme la devise elle même est virtuelle, elle n'a même pas de support réel.
1 unité de monnaie virtuelle sur mon ardoise virtuelle => ??? en vrai
Parce qu'elle n'a pas de contrepartie réelle, la monnaie virtuelle ne peut pas être aisément une valeur refuge comme l'or. De plus une monnaie est un bien, et dans le cas d'une monnaie virtuelle, elle se rapprocherait plus d'un bien intellectuel (avec toute la législation autour).
Les économistes diront que c'est une monnaie scripturale, alors que pour les technophiles c'est une e-currency (on a bien l'idée de la devise électronique, en ignorant la contrepartie réelle).
La seule chose que la monnaie virtuelle et la monnaie scripturale ont en commun c'est qu'elles sont toutes les deux vues comme un moyen de paiement et pas une monnaie en tant que tel (légalement).

Attention aussi, une monnaie virtuelle n'est pas forcément une crypto-monnaie ! Les billets de Monopoly sont une monnaie virtuelle, bitcoin aussi est une monnaie virtuelle, mais elle est aussi une crypto-monnaie, comme on va le voir dans la suite.

Pourquoi dit-on que Bitcoin est une crypto-monnaie ? Tout simplement car son fonctionnement s'appuie sur l'utilisation de méthodes cryptographiques pour, d'une part garantir "l'anonymat" des deux bouts d'une transaction, mais aussi pour la construction des blocs de vérification. Quand je parle d'anonymat c'est uniquement l'association entre mon identité réelle et ma clé publique que l'on trouvera dans le bloc de vérification (donc qui est connu). Qu'est ce qu'un bloc de vérification ? Je vais reprendre le papier original de Satoshi Nakamoto, à l'origine du système Bitcoin. Un bloc de vérification contient plusieurs informations. Dans l'entête du bloc on a:
  • la version du bloc (qui suit la version du logiciel bitcoin)
  • le hash de l'entête du bloc précèdent
  • le hash du "chemin" dans l'arbre de Merkle (pour l'historique et ainsi la traçabilité des transactions) des transactions dans le corps du bloc
  • le timestamp du moment de la création de ce bloc
  • la valeur cible max (voir plus bas)
  • le nonce (l'entier qui va servir entre autre de seed pour le calcul du hash) qui s'incrémente à chaque calcul de hash d'un bloc

En fait bitcoin fait un hash(hash(bloc)) mais le nonce n'est incrémenté qu'une seule fois. Le hash généré est codé sur 256 bits. La valeur du hash va être comparée à la valeur cible max qui est dans l'entête du bloc. Si notre valeur de hash est supérieure à la valeur cible, on a perdu ! il faut recréer un nouveau bloc en faisant attention à utiliser notre hash perdant dans l'entête du nouveau bloc, et en incrémentant le nonce. On recalcule le hash, jusqu'à avoir un hash inférieur à la valeur cible, mais là encore, tout n'est pas gagné car peut être qu'un autre utilisateur aura trouvé au même moment que vous un hash de valeur inférieur à la valeur cible ! Dans ce cas là c'est le nonce le plus élevé qui l'emporte. Si le nonce est égal, c'est le timestamp qui fera foi. Enfin les autres utilisateurs vérifieront que votre hash est valide (ce qui prendra moins de temps vu qu'on a déjà toutes les infos utiles dans l'entête). Si la majorité valide votre bloc, il serra inclus dans l'historique des transactions qui ferra parti du corps du bloc sur lequel tout le monde travaillera désormais.

On comprend aisément que lorsque la valeur cible tend vers 0, la difficulté augmente. Voila d'ou vient la valeur difficulté que l'on peut trouver sur les sites de mining. Il peut aussi arriver qu'on tombe sur un cas super difficile quand presque aucune valeur de hash n'est inférieure à la valeur cible.

Je ne vais pas parler des détails comme qu'est ce qui arriverait si le nonce dépassait la taille d'un entier (32 bits) ou le cas ou tout le monde utilisera mon bloc pour continuer le travail, car c'est compliqué, et ca fera l'objet d'un autre article (plus technique).

Comme l'ensemble des transactions passées (l'arbre de Merkle qui est dans le bloc) est public, tout le monde vérifie en fait toutes les transactions (en fait pas vraiment, mais j'en parlerais dans un prochain article) et c'est la majorité qui décide de la validité d'un bloc. Si par exemple j'arrivais à forger un bloc tel qu'il a le nonce le plus élevé, le timestamp le plus court et un hash vérifiant la condition de validité, il resterait encore à le faire vérifier par l'ensemble des autres utilisateurs, qui eux se rendront compte de la supercherie (à moins d'avoir 51% des autres utilisateurs dans le coup).
Il serrait aussi possible de forger de fausses transactions, de les ajouter à notre bloc local et de faire vérifier le hash de mon faux bloc par les autres, malheureusement la probabilité de réussir à forger avant tout les autres utilisateurs un bloc avec un hash gagnant décroit de façon exponentielle en fonction du nombre de blocs suivants (j'expliquerai en détails dans un prochain article, mais c'est expliqué dans le papier de Satoshi).

Il serrait apparemment possible de transformer ses bitcoins en cash réel depuis un distributeur de billet. On peut aussi faire des achats et payer en bitcoin (d'ailleurs j'ai acheté deux mineurs ASIC en bitcoin récemment), et les enseignes acceptant les bitcoins en profitent pour bien le faire savoir. Personnellement je trouve que c'est bien joué.

Compatible avec le système financier actuel ?

Il faut comprendre que ce n’est pas dans l’intérêt de l’Etat que le bitcoin se démocratise, pas seulement la monnaie, mais le protocole lui même ! L’Etat n’aurait pas la main sur cette monnaie ou toute autre monnaie virtuelle et c’est compréhensible en un sens. En effet l’économie d’un pays peut être valorisée grâce à un contrôle de sa monnaie. Si le dollar s’apprécie, le pouvoir d’achat américain monte: « Avec un dollar, je peux acheter beaucoup de pommes dans un pays étranger ». Si le dollar se déprécie, le pouvoir d’achat américain recule: « Il me faut plus de dollars pour acheter le même nombre de pommes à l'étranger ». En terme financier (en particulier pour le Forex), on parle de cross entre deux devises. En France, on ne manipule pas l’eurodollar, mais pour d’autres devises, il se peut qu’un cross soit fixe, ou arrangé (comme l’EUR/FCP en Polynésie Française). D’autres gouvernements utilisent des moyens détournés pour maitriser leur devise (en limitant les flux de cash sortant ou entrant, ou en achetant une autre devise en masse et en la gardant chez soit).
Dans le cas du bitcoin, c’est encore flou. Des services de trading ont vu le jour sur internet, et qui vous proposent de trader du bitcoin, profiter d’effets de levier ou de spread sur le Forex, car comme il n’existe pas de législation sur le bitcoin, on peut théoriquement profiter d’automates de trading, faire du trading algorithmique ou carrément du trading haute fréquence.
D’ailleurs dès qu’un cadre financier serra crée autour du bitcoin (ce qui arrivera assurément un jour), les banques se jetteront dessus ! Car oui, même si les organismes financiers ont l’air de se méfier des crypto-monnaies, ils seront les premiers à inventer des produits financiers autour du bitcoin (pour dire, il existe des produits financiers basé sur la météo ou les résultats de football).
Peut-on donc voir le bitcoin comme une devise ? pourquoi pas, comme je l’ai dis plus tôt, on peut maintenant payer en bitcoin, on peut aussi changer des bitcoins dans une autre devise, le cross n’est géré que par l’offre et la demande du marché.
Actuellement (à l’heure ou j’écris cet article), le bitcoin est plutôt vu (et semble vouloir être utilisé) comme un titre à part entière. En effet, en absence de régulation, le bitcoin est vu comme une marchandise qu’on échange sur un marché. D’ailleurs les frères Winklevoss ont annoncé la création d’un fond de placement sur une quantité de bitcoins.

Il faut retenir que Bitcoin est un système auto-suffisant, on a autant besoin de mineurs que d'utilisateurs pour que le système fonctionne. Sans utilisateurs, la demande ne décolérait pas, sans mineurs, pas de vérification ni création de monnaie.

Dans un prochain article je présentai mon rig.



sources:

Aucun commentaire: